Des clics et des claques

A bien des égards, la campagne que nous vivons laisse un goût d’amertume.

Amertume, car le poids des extrêmes totalise aujourd’hui près d’un  tiers des voix cumulés. Ainsi, incontestablement, avec 18 pour cent des voix, Marine Le Pen joue un rôle d’arbitre. Jean-Luc Mélenchon, lui aussi, y participe à sa manière. Sur le dirigeant du Front de Gauche, je ne peux que vous conseiller de lire le très bon article de François-Xavier Bellamy, maire adjoint de la Mairie de Versailles

Amertume, car trop longtemps, l’immigration a été confinée aux seules mains du FN et, dans une moindre mesure, au MPF, faisant l’objet de tous les fantasmes et revient aujourd’hui sur la scène en étant l’axe majeur de l’entre deux tours

Amertume, car on aurait pu croire ,qu’en raison de la crise, la dette aurait pris le dessus, c’est un tout autre chemin qui se dessine, en réalité, aujourd’hui.

Néanmoins, le vote FN doit être pris en considération, que l’on veuille ou non.

Evoquons donc, sans parti pris, l’immigration et les questions sous-jacentes qui en découlent, laissant donc de côté, de manière temporaire, la sortie de l’Euro, thème sur lequel nous reviendrons prochainement.

Alors que l’ immigration serait l’objet de l’ensemble des maux, par son coût supposé et les problèmes qui en découleraient.

Il faut ainsi s’interroger

Est-il vrai que les immigrés coûtent cher à la France – soit parce qu’ils pèsent sur le budget de l’État, soit parce qu’ils affectent négativement l’emploi et les salaires ?

Afin d’avoir une approche précise de ces questions, je me suis largement inspiré de l’audit de la politique d’immigration, d’intégration et de codéveloppement , j’essayerai d’apporter quelques informations et de souligner les points semblant importants.

Apportons tout d’abord, quelques informations

«En 2008, 8,4 % des personnes vivant en France sont immigrées. (…) Jusqu’au milieu des années 1970, les flux d’immigration sont essentiellement masculins, comblant ainsi les besoins de main-d’œuvre. En 1974, les migrations familiales prennent une part croissante dans ces flux, suite au frein mis à l’immigration de main-d’œuvre. Ils sont alors principalement composés de femmes qui viennent rejoindre leur conjoint déjà présent sur le territoire. En 2008, un immigré sur deux est une femme, contre 44 % en 1968. La part des immigrés originaires du continent européen a baissé de près de 30 points depuis 1975, du fait des décès ou des retours au pays d’origine. En 2008, 43 % des immigrés sont nés dans un pays du continent africain, pays du Maghreb ou anciens pays sous administration française. Un peu plus d’un sur sept vient d’Asie, seulement 5 % sont originaires d’Amérique ou d’Océanie.

En 2010, 2,7 millions d’immigrés âgés de 15 ans ou plus sont présents sur le marché du travail en métropole, actifs ou chômeurs, soit 9,4 % de la population active. Le taux de chômage des immigrés en 2010 est supérieur de 7 points à celui des non-immigrés. La moindre qualification des immigrés et des emplois qu’ils occupent n’explique pas à elle seule ce différentiel. Le taux de chômage des immigrés diplômés de l’enseignement supérieur est le double de celui de leurs homologues non immigrés, mais le fait de sortir du système scolaire sans diplôme augmente fortement le risque du chômage. Par ailleurs, l’accès au marché de l’emploi des immigrés originaires de pays tiers hors Union européenne est plus difficile que celui des immigrés natifs d’un pays de l’Union Européenne.

A la première interrogation formulée ci-dessus, voici des éléments de réponse apportés par Joël Oudinet – Economiste, que l’on retrouve dans ce rapport cité plus haut

« Effet sur les salaires

D’un point de vue théorique, effectivement, le salaire est susceptible de baisser parce qu’essentiellement il y a une concurrence entre les demandeurs. S’il y a concurrence entre deux, l’employeur va prendre celui qui propose le salaire le moindre et donc ça va faire baisser le salaire. En théorie, ce qui est important, c’est qu’il y ait une véritable concurrence sur les emplois qu’on dit effectivement substituables, c’est-à-dire sur lesquels il y a une véritable concurrence, c’est-à-dire les demandeurs ont les mêmes types de compétences, de qualification. Un maçon ne va pas être en concurrence avec un ingénieur ou même un architecte. Ce sont des emplois complémentaires. La théorie montre bien qu’il peut y avoir d’un point de vue logique, le modèle de Borgeas montrait cela, ce sont les emplois substituables qui risquent de baisser. Par contre, les emplois complémentaires, à l’inverse, voient leurs revenus s’accroitre. Si on a un maçon, le maçon est directement mis en concurrence avec un maçon immigré, eux voient le salaire baisser, mais à l’inverse, toutes les autres personnes vont voir leurs revenus augmenter parce que le prix de la maison va baisser.

C’est ce que la théorie appelle le surplus de l’immigration qui va être partagé.  Les études économétriques qui ont été faites là-dessus montrent que les effets sont très limités. On peut avoir effectivement une baisse dans certains cas de légères baisses pour ceux qui sont en concurrence et de légères hausses pour ceux qui ne sont pas en concurrence, mais c’est très faible. Toutes les études montrent cela. Une étude des US montre les élasticités en jeu. Effectivement, s’il y a une augmentation de 1 % de la population active, en France, cela ferait + 270 000, les salaires des autochtones baisseraient pour les non qualifiés de simplement entre 0,2 % et 1 % et cela sans effet sur le chômage. Une arrivée de 50 000 immigrants pourrait faire baisser les salaires de 0,04 % – 0,18 %, ce qui est vraiment très négligeable. Toutes les études montrent cela avec pour les études européennes, des élasticités plus faibles qu’aux US, ce qui est assez logique puisqu’on a moins de concurrence. La concurrence est essentiellement entre les anciens immigrés et les nouveaux arrivants. Ceux qui sont en concurrence et qui voient leurs salaires baisser, c’est plutôt les anciens émigrants. Ils se retrouvent finalement dans les mêmes secteurs : construction, restauration, commerce, nettoyage, service, ménage. Ces secteurs sont détenus majoritairement par les immigrés dans tous les pays européens. Ce sont les immigrés qui font tourner ces secteurs. C’est très cloisonné. Les Marocains sont manœuvres. Le chef d’équipe est portugais et l’architecte est français. Les impacts les plus importants sont sur les anciens immigrants. Ce sont eux qui voient baisser leur salaire d’une manière plus importante. Une étude au Royaume-Uni montre que les migrants avaient vu leurs salaires baisser. La différence s’est accrue de 6 % entre 2000 et 2005. On a eu la même chose en Allemagne où ça a été montré, la nouvelle vague d’émigrants turcs plus qualifiée, a fait baisser les salaires des anciens émigrés.

Effet sur les emplois

Est-ce que les immigrés prennent les emplois des autochtones ? 40 % pensent cela. En fait les immigrants prennent leur propre emploi. Les Français sont moins inquiets que les

Allemands. Mais on est un peu moins inquiet là-dessus. Qu’en est-il vraiment ?

D’un point de vue théorique, évidemment. Il n’y a pas un partage d’un emploi. Ce n’est pas un gâteau qu’on se partage. Les immigrés sont aussi des consommateurs. En tant que consommateurs, ils vont créer de la demande supplémentaire et vont donc créer des emplois. Ces emplois sont d’ailleurs plutôt complémentaires. L’arrivée des Chinois fait monter des restaurants chinois. On n’est pas dans une concurrence complète.  Finalement toutes les études montrent que la grande majorité des migrants arrivants créent leur propre emploi. Ce n’est pas simplement en France. Sur l’emploi, l’impact est bien moindre. Beaucoup d’études le montrent quelle que soit la méthodologie, entre coefficients facteur, corrélation spatiale, simulation de modèles. On avait simulé un modèle macro-économétrique pour regarder les effets de la demande. On voit bien qu’une variation de 10 % de flux migratoires fait augmenter le chômage de 0,01 %. Si c’est une augmentation énorme de 1 % de la population active, ça gagnerait 0,5 % donc de 8 % à 8,5 %. On est sur quelque chose de très faible. Sur les rapatriés d’Algérie, une étude a montré que le taux de chômage des non-rapatriés n’aurait augmenté que de 0,2 % sur cette période. En 1962, au moment où il y a eu le retour

des rapatriés d’Algérie, en particulier dans la région PACA, l’impact a été très faible, de 0,2 point. C’était en comparant dans les expériences naturelles, on arrive à distinguer tous les effets puisqu’on compare avec d’autres régions qui ont les mêmes caractéristiques et qui n’ont pas eu cet impact. Il y a eu la même expérience naturelle faite sur l’arrivée des Cubains en Floride où on a cet effet.

Est-ce que les émigrants reçoivent plus qu’ils ne contribuent ?

(…) Les études sont très délicates parce qu’elles sont sensibles à toutes les hypothèses, à la conjoncture, à quel moment ça a été fait. Malgré tout, les études montrent que les immigrants déboursent plus en impôt qu’ils ne reçoivent, c’est-à-dire que le solde est plutôt positif. Il y a des dépendances fortes, on a montré aussi qu’aux US puisqu’il y a une distinction entre le budget fédéral et le budget de chaque État et là, on a au niveau local quelque chose de déficitaire, mais c’est globalement favorable parce qu’au niveau national,c’est plus important.  Ces études sont très critiquables parce qu’elles sont ponctuelles, liées à la conjoncture. Les résultats peuvent changer d’une année sur l’autre. Les autres études au Royaume-Uni, Espagne, US montraient que grosso modo, en partie, le solde était positif, surtout en raison de la structure asymétrique par âge. Les dernières études sont plus comme celles présentées par Didier Blanchet, des études dynamiques prenant en compte l’évolution d’un immigrant sur la durée de sa vie. À ce moment-là on a plusieurs effets qui peuvent être mieux appréhendés dans ces modèles de comptabilité générationnelle. Ils ne prennent pas seulement en compte un immigrant sur la durée de sa vie, mais aussi les générations suivantes. Tous les effets nous montrent que les générations suivantes sont beaucoup plus excédentaires. Grosso modo, plus le niveau de qualification est élevé, plus les apports sont importants.

La plupart des estimations montrent que l’effet est quand même positif globalement, mais avec des effets assez faibles. Des effets plus importants sont notés dans les études en Allemagne et en Espagne parce que le concept de vieillissement de la population est plus fort qu’en France. »

Quant au rôle de l’immigration, L’Eglise dans sa doctrine sociale, apporte une réponse

«L’immigration peut être une ressource, plutôt qu’un obstacle au développement. Dans le monde actuel où s’aggrave le déséquilibre entre pays riches et pays pauvres et où le développement des communications réduit rapidement les distances, les migrations de personnes en quête de meilleures conditions de vie augmentent. Ces personnes proviennent des régions les moins favorisées de la terre: leur arrivée dans les pays développés est souvent perçue comme une menace pour les niveaux élevés de bien- être atteints grâce à des décennies de croissance économique. Toutefois, les immigrés, dans la majorité des cas, répondent à une demande de travail qui, sans cela, resterait insatisfaite, dans des secteurs et des territoires où la main d’œuvre locale est insuffisante ou n’est pas disposée à effectuer ce travail.

Les institutions des pays d’accueil doivent veiller soigneusement à ce que ne se répande pas la tentation d’exploiter la main d’œuvre étrangère, en la privant des droits garantis aux travailleurs nationaux, qui doivent être assurés à tous sans discriminations. La réglementation des flux migratoires selon des critères d’équité et d’équilibre 643 est une des conditions indispensables pour obtenir que les insertions adviennent avec les garanties requises par la dignité de la personne humaine. Les immigrés doivent être accueillis en tant que personnes et aidés, avec leurs familles, à s’intégrer dans la vie sociale.644 Dans cette perspective, le droit au regroupement familial doit être respecté et favorisé.645 En même temps, autant que possible, toutes les conditions permettant des possibilités accrues de travail dans les zones d’origine doivent être encouragées.646»

La question fondamentale est, me semble t-il, celle, soulevée par l’Eglise.

Ne faut-il pas mieux que les possibles migrants restent là où ils vivent afin de contribuer à leur propre richesse ?

Plus largement, en considèrent que l’immigration soit un problème, quelle politique adopter avec les pays qui sont à l’origine de l’arrivée de ces immigrants ? Comment accueillir dignement les immigrés dans notre pays ?

Là où il sera accueilli, l’immigré reverse généralement une somme d’argent à son pays d’origine. Elle est de l’ordre de trois-cent milliards et représente la deuxième source de transfert au monde après le commerce sur les produits pétroliers (selon le géographe, Gildas Simon).

Pour le professeur d’Economie, El Mouhoub Mouhoud, « Penser qu’on ferait des accords de libres-échanges avec les pays du Sud de la méditerranée, ou avec les pays d’Afrique subsahariennepour que les migrations soient freinées est relativement, me semble-t-il, aujourd’huiinintéressant comme point de vue tellement il y aurait d’autres choses à faire de plus efficace »

A mon sens, on ne peut écarter, non plus, l’aspect culturel. Toute migration nécessite des efforts accrus parfois douloureux. J’ai vécu cette expérience et je sais, que même s’il s’agit d’une migration choisie (quoique…) dans des conditions matérielles incomparables de celles du migrant fuyant définitivement son pays. Il faut se conformer à une nouvelle langue, une manière nouvelle de penser, à un autre rythme de vie. On peut vivre facilement dans un cocon entouré de personnes parlant la même langue, ayant la même culture, ne permettant pas l’intégration et favorisant ainsi le communautarisme.

Que faut-il faire alors ?

Instaurer des quotas comme le préconise Marine Le Pen, à hauteur de dix mille immigrants par ans, ou accueillir tout le monde comme le souhaite le Front de Gauche ?

A cette question, Pierre Mazeaud y répond

Les quotas semblent hors de propos. Impossibles à mettre en oeuvre au regard de la Constitution comme des Conventions Européennes, elles ne peuvent fonder une politique d’immigration.

En revanche,  «Il est en envisageable de mieux contrôler et de définir plus strictement les conditions d’exercice du droit au séjour»

Ainsi, l’accueil des membres de la famille des Français peut être refusé en cas de doute sérieux sur l’état civil ou la validité du mariage ; en outre, «les États ne sont pas tenus d’organiser des régularisations générales. Les régularisations à grande échelle, si elles permettent d’apurer certaines situations, ont un effet induit sur l’immigration familiale. Aussi sont-elles déconseillées par la Commission européenne», enfin le regroupement familial à partir du pays d’origine doit être subordonné à des conditions de revenus et d’intégration qui ne sont pas appliquées aujourd’hui dans toute leur rigueur. En réalité, il faut mieux définir et contrôler l’entrée et le séjour dans le cadre des principes  protecteurs des droits des étrangers et de lutter contre l’immigration irrégulière

«L’immigration irrégulière est d’autant plus inacceptable que  plusieurs voies légales d’immigration sont largement ouvertes dans le cadre  de l’immigration de travail, de l’accueil d’étudiants, de la venue des familles, de l’octroi du statut de réfugié ou d’accords avec les pays d’origine. Elle compromet tous les efforts de maîtrise des flux réalisés par l’État de destination comme par l’État d’origine, favorise des filières criminelles et crée en outre une injustice flagrante entre les personnes qui respectent les lois et les procédures et celles qui décident de passer par l’illégalité.

En conséquence, les pouvoirs publics doivent agir avec la plus  grande fermeté dans la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment contre les passeurs qui exploitent la pauvreté»

Il faut enfin la tenue d’un débat annuel devant le Parlement sur les objectifs de la politique migratoire.

Esperons que cette question sera débattue, sereinement, par le législateur qui profitant d’une nouvelle composition des forces politiques ou d’une stabilité aura à cœur de mettre fin aux polémiques qui existent toujours aujourd’hui.

Kephas